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vendredi 22 mai 2009

Une antiquité: La blouse du maître

GRAPHOMANIE

Encore une publication de Jean Mourot!

Les éditions BoD viennent de sortir le nouveau livre de témoignage du retraité graphomane de Yainville. En voici la couverture et la présentation. Il n'est pas interdit transmettre cette publicité autour de vous: c'est le seul moyen d'informer d'éventuels lecteurs.


Il y a 40 ans, la blouse était encore l’uniforme des maîtres d’école. Depuis, elle a disparu en même temps que les secrétaires de mairie-instituteurs. Les petites écoles ont fermé les unes après les autres. L’école rurale appartient désormais à un folklore désuet alimentant la nostalgie de ses anciens élèves.
Après quatre années en banlieue rouennaise, l’auteur a été nommé avec son épouse dans l’une de ces écoles de hameau qu’on construisait encore dans les années soixante. Ouverte en septembre 1958 au milieu des prés et des champs, l’école des Sablons de Jumièges ne comportait que deux classes mixtes, mal chauffées en hiver par un vieux poêle Godin. L’appartement de fonction surmontait la classe des grands. C’est la solitude du lieu et le fait de ne pas y être astreint à assurer le secrétariat de mairie qui avaient séduit le nouveau maître lorsqu’il l’avait visitée, alors qu’il cherchait à quitter la ville pour la campagne en espérant y trouver une “petite bonne” pour s’occuper de leurs jeunes enfants. Elle allait devenir “l’école des Mourot” avant de connaître un rapide déclin après leur départ,dans les années quatre-vingts. Devenue école à classe unique, faute d’élèves, elle fermera définitivement vers 1990.
En 20 ans, ce « couple pédagogique » en blouse aura préparé à la vie plusieurs générations d’élèves, avant de les préparer au collège unique après la suppression des classes de Fin d’Études et du fameux “Certif”, le baccalauréat des pauvres. C’est de ces années qui virent la fin de l’école de Jules Ferry, que témoignent ces mémoires. Ils ressuscitent une époque révolue, évoquant des lieux, des personnes, des habitudes qui ont depuis bien changé. On y trouvera aussi la vie d’une famille, en parallèle avec celle d’un militant politique et syndical impliqué dans une période troublée, au cours de laquelle un nouveau monde a progressivement remplacé l’ancien.
On peut se procurer l'ouvrage, illustré, chez l'auteur (Jean Mourot 622 bis rue de l'Essart 76480 YAINVILLE) ou le commander en librairie (ISBN 978-2-8106-0332-9) 272 p. 16 € ou encore l'acheter en ligne sur www.chapitre.com ou www.alapage.com ou encore www.amazon.fr franco de port et avec 5% de remise.
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EXTRAITS

"Quand venait le mois de mai, quand l’eau s’était retirée dans les fossés et que l’herbe était suffisamment haute pour être broûtée, on lâchait les bêtes dans le Marais que les anciens désignaient encore par la vieille dénomination francique de « marec ». À travers les vitres de ma classe, nous assistions ensemble, maître et élèves à la « ferrade » qui se déroulait sous nos yeux à quelques pas de l’école, sur la petite place à l’entrée du chemin de l’Essartel. Notre solide garde-champêtre y avait installé en début de journée ou d’après-midi, une petite forge où il avait activé, à grands coups de manivelle d’un soufflet rotatif, le feu destiné à rougir les fers. L’imposante secrétaire de Mairie lui tenait compagnie avec un maire-adjoint, un registre ouvert sur une petite table prévue pour servir d’écritoire.
Il faut savoir que le Marais est propriété communale depuis la Révolution de 1789 et que le droit de vaine pâture sur cette espace appartenant jadis à l’abbaye de Jumièges avait fait l’objet de longs procès au Moyen-Âge et à la Renaissance entre les moines et les habitants. Au XXème siècle, les éleveurs de la commune pouvaient y faire paître leur bétail pendant toute la belle saison moyennant un modeste droit de pacage jamais revalorisé et qui couvrait à peine les frais d’entretien —les éleveurs étant en majorité au Conseil municipal ! On y conduisait donc en mai des veaux, de jeunes bovins à l’engrais et même quelques chevaux de boucherie à la belle crinière blonde. Les propriétaires amenaient leurs bêtes à l’une des trois entrées, la plus proche de leur résidence, pour y être marquées et enregistrées, dans une odeur âcre de corne brûlée. Chaque bête se voyait attribuer un numéro. Le marquage ne se faisait pas, comme dans le Far-West, sur le cuir d’une cuisse ou d’une épaule, mais sur la corne ou le sabot. Cela n’avait rien de douloureux mais les bêtes n’en étaient pas moins inquiètes, nerveuses et rétives. On les voyait ruer, gambader, cabrioler sur la route, les paysans en cotte bleue ou brune délavée se démenant comme de beaux diables pour les contrôler, les faire marquer et les guider enfin vers le sentier menant à l’herbe neuve, empoignant au besoin à pleines mains les cornes d’un taurillon ou galopant le long d’une haie qu’un veau alerte venait de sauter. Mes élèves applaudissaient aux performances des plus habiles. Quand il arrivait que l’adjoint au Maire vînt se soulager la vessie contre une haie proche, ils ne manquaient pas une goutte du spectacle !
Parvenus à destination, les animaux se calmaient et se mettaient aussitôt à brouter dans le silence des grands espaces où l’on entend murmurer le vent et que seule animaient, l’hiver, la vie secrète des insectes ou des poissons et le cri plaintif des vanneaux huppés voltigeant au-dessus de leurs petits. Les longues taches brunes de leurs silhouettes réchauffaient à nouveau le vert acide de l’herbe printanière, au pied des peupliers dont les pâles quenouilles striaient la masse sombre et moutonneuse de la rive gauche que déchiraient çà et là les plaies crayeuses de la falaise. Tout le monde se retrouvait alors au café Gibourdel pour se requinquer en plaisantant ou en commentant l’actualité avant de s’en retourner chez soi."

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"L’année précédente, je n’avais eu qu’une candidate au Certificat d’Études, une bonne élève qui aurait pu être admise en 6ème trois ans plus tôt si elle l’avait voulu, qui fut reçue sans difficulté. En ce temps-là, on préparait souvent l’examen en bachotant à outrance, les maîtres d’élèves brillants espérant plus ou moins secrètement que l’un d’eux décrochât le prix du Conseil Général attribué au premier du Canton. Pour ma part, je m’appliquais à traiter tout le programme, en fonction d’une rigoureuse progression planifiée sur l’année et je n’entraînais mes candidats qu’au troisième trimestre et sans excès. Je les gardais en étude le soir, une heure après la classe, et nous nous contentions d’une dictée avec questions et d’une épreuve de calcul, d’après un recueil d’annales, alors que certains faisaient de même une fois de plus, le matin avant les cours. Nous préparions aussi le Brevet sportif: enchaî-nements rythmiques dans la cour et épreuves d’athlétisme sur le stade —saut en hauteur (au-dessus d’un élastique), lancer du poids, grimper de corde... Pour la course de 60 m, nous nous transportions dans le sentier du Marais au-jourd’hui devenu rue de l’Essartel. Quelques rares parents pensant augmenter les chances de leurs rejetons en s’attirant mes bonnes grâces m’apportaient parfois qui quelques pommes véreuses, qui un panier de légumes. Je les acceptais poliment sans changer pour autant mon at-titude en classe. Quelques rares élèves du CM2 —ou de FE1 car ils avaient souvent un an d’avance— entraient en 6ème sur dossier au Groupe d’observation dispersée de Du-clair qui comptait une 6ème et une 5ème annexées à l’école primaire de garçons, embryon du futur CEG (Collège d’enseignement général) prévu par la réforme Berthoin qui avait prolongé la scolarité obligatoire de deux ans. Cette rentrée 1967 était justement celle de la mise en œuvre effective de cette mesure. Y avaient échappé Jean-Pierre Deconihout et quelques autres, tout heureux de pouvoir enfin éviter l’enfermement scolaire. Les suivants, s’ils étaient enfants d’agriculteurs, avaient la possibilité de travailler dans l’entreprise familiale à condition de suivre en alternance l’enseignement du Cours post-scolaire agri-cole de Duclair (« L’école à Carré », le futur Conseiller gé-néral auquel succédera Claude Steltz). Les autres allaient devoir attendre l’âge de 16 ans au CEG ou en Collège d’Enseignement Technique (CET). On enseignait aux gar-çons l’ajustage et l’électricité à l’ancien Centre d’Ap-prentissage Jacquart de Barentin ou à son annexe du Trait, créée pour former de jeunes ouvriers destinés aux chan-tiers navals jusqu’à leur fermeture. Les filles apprenaient la couture à Edmond Labbé de Barentin, la dextérité ac-quise à moindre coût profitant au bobinage de moteurs de l’usine Claret où on les embauchait à la sortie.
L’examen du Certificat d’Études, s’il avait perdu de sa solennité d’antan, demeurait un moment fort de l’année scolaire. On se rendait au chef-lieu de canton en auto avec un parent ou un voisin mais sans les maîtres, pendant longtemps mobilisés pour surveiller et faire passer les épreuves dans un autre canton, pour ne pas nous trouver en présence de leurs propres élèves. Les municipalités of-fraient le déjeuner aux examinateurs. Certaines, comme celle de Duclair, les traitaient fastueusement. Je ne pus bénéficier du repas offert à son hôtel de la Poste que la dernière année d’examen cantonal, avant que la raréfac-tion des candidatures provoquée par la généralisation de l’entrée au Collège ne conduise à centraliser l’examen aux chefs-lieux de circonscription. L’Inspection académique s’était résolue à nous affecter au centre d’examen le plus proche pour ne plus avoir à nous verser d’indemnité de déplacement. J’y retrouvai un camarade de promotion, dans la salle du premier étage où grillait une côte de bœuf sur un feu dans l’âtre, près d’une large baie vitrée donnant sur la Seine où se croisaient les cargos et le bac. Le festin se prolongea au-delà de l’heure prévue pour la reprise des épreuves (le matin était consacré aux épreuves écrites de calcul et de français, l’après-midi aux épreuves orales, au calcul mental, au dessin, à l’histoire-géographie et à la science). Les candidats nous attendirent en jouant dans la cour. Quand nous arrivâmes enfin, le teint rouge et l’esprit embrumé, la douce euphorie due à la générosité municipale nous inclina à l’indulgence pour noter lecture, chant ou récitation... Les corrections se faisaient au fur et à me-sure en commission, les surveillants venant en renfort des correcteurs après les épreuves. Nous corrigions régle-mentairement par deux, selon un barème détaillé où pres-que tout était prévu. Aussi, les plus efficaces d’entre nous se partageaient en fait les copies et ne se concertaient qu’en cas de doute ou de litige possible et pour noter les « rédactions ». En calcul, on pouvait avoir une bonne note à un problème en dépit d’un résultat final erroné: une faute initiale n’entraînait pas systématiquement une mau-vaise note si le raisonnement restait correct et les autres calculs exacts. Au fil des années, les performances ortho-graphiques des candidats baissèrent à un point tel qu’il fut impossible d’appliquer la règle « 5 fautes=zéro ». On en arriva ainsi à ne compter que des quarts de fautes pour des erreurs d’accent d’abord, puis pour des fautes d’orthographe d’usage, à ne sanctionner qu’une seule fois des manquements à certaines règles grammaticales. On en vint même à tolérer certaines orthographes vicieuses de mots jugés peu courants, quand on ne les écrivait pas tout bonnement au tableau en cours de dictée ! Après quoi, on décachetait les en-têtes de copies, on collationnait les notes (sur 5, sur 10 ou sur 20 selon les matières), on effectuait les totaux et on délibérait pour décider qui serait reçu ou ne le serait pas. Un total de 50 sur 100 assurait à coup sûr le succès si l’on avait échappé au zéro éliminatoire en ortho-graphe ou en calcul. Un total inférieur était sujet à délibé-ration. Il arrivait de revoir des copies, notamment de « rédaction ». Dans le plus grand secret, le jury « ra-chetait » à un demi, un point et même davantage en des-sous de la moyenne. Seuls les candidats recalés avaient communication de leurs notes. On réussit ainsi à maintenir jusqu’à la fin un contingent raisonnable de lauréats. Mais on ne peut pas dire qu’un Certificat de 1970 aura eu la même valeur qu’un Certificat de 1950 ou d’avant... Venait alors, quelquefois très tard, la proclamation des résultats. C’était un moment de tension précédant la déception, le soulagement ou le triomphe. En juin 1968, au centre de Maromme, la plupart des candidats et de leurs famille étaient repartis, les délibérations s’étant prolongées assez tard. Mais les maîtres accompagnateurs, même s’ils n’étaient pas membres du jury, attendirent patiemment de savoir le sort de leurs candidats. Cette année-là, à cause de la longue interruption de mai-juin, on avait allégé le pro-gramme et supprimé les épreuves d’histoire-géographie-science. Les épreuves sportives avaient été prévues juste au moment du déclenchement de la grève et nous avions hésité à Duclair avant de les maintenir pour ne pas pénali-ser nos élèves... En fin de compte, les résultats furent assez conformes à ce qu’ils avaient été les années précédentes. Mes candidats étaient reçus. Il m’appartenait au retour d’annoncer la bonne nouvelle aux familles. Je me souviens surtout de mon passage dans une famille où l’on tint ab-solument à me faire trinquer au succès de sa lauréate : je dus avaler un calvados de leur propre production qui me brûla le gosier au passage!
Les cours de Fin d’Études de ma classe seront supprimés à la rentrée de1972. J’aurai préparé pour juin de cette année-là mes derniers candidats au « Certificat ». Les meilleurs élèves étant orientés vers le collège, quelques uns d’entre eux persisteront à se présenter à un examen qui servait encore de référence pour certains recrute-ments. Pendant quelques années encore l’examen sera ou-vert aux adultes pour disparaître officiellement en 1989, après plus de cent ans d’existence."